À l'aube sur le balcon, René,
seul. Trop éveillé pour croire qu’il dormait encore,
trop endormi pour analyser clairement ce qu’il avait vu. Ou cru
voir. Peut-être n’avait ce été qu’une
illusion, une défaillance optique – une intuition? Parmi
les étoiles encore visibles dans le ciel, l’une d’elles
brillait plus intensément que ces voisines et... se déplaçait,
donnait en tout cas l’idée de mouvement. Avançait?
Vers la terre? Quatre ou cinq siècles s’étaient
écoulés depuis l’époque où à
la vue d’un tel phénomème l’estomac lui serait
tombé dans les mollets, et le cœur à la place laissée
par le premier. La fin du monde eut été proche. Elle l’avait
été souvent par le passé, puis un peu moins, revenait
cependant à la mode. Il observa le phénomène plusieurs
matins de suite, ne conclua rien. Même si peu versé dans
l’astronomie, contrairement à Lucien,
il supposait que l’univers ne se reposait jamais. Tout pouvait
arriver. A toute heure. Partout. Camille pariait sur une planète.
Mireille eut aimé un vaisseau spatiale, Lucien réfuta
l’idée d’une comète : Il se rappelait plus
l’explosion de Challenger
que le passage d’Halley, qui ne devait réapparaître
qu’en 2061 ; ils seraient morts alors. Et pourtant, ce qu’ils
avaient regardé après s’être renseignés,
installés sur le balcon au petit jour, en était bien une
de comète. Toute neuve... L’univers décidément,
ne dormait jamais. C’était donc ça, une comète.
Ils furent déçus d’abord. Puis saisis, lorsque leur
tour venu, plaquant l‘œil à l’oculaire d‘une
lunette astronomique Wachter (ouv. 225 mn, focale 3000mn), ils virent
un flocon tirant sa queue. En prime : Jupiter, bonbon bariolé,
et Mars, pastille orangée. Et ce collage, abandonné, lui,
sur une chaise dans la petite salle de conférence. Assemblage
de cartons quadrilatères découpés dans une chemise
fixés par du papier crêpé adhésif et des
agrafes, photocopies de planètes à première vue
gazeuses (exoplanètes?), photographie, portrait décapité
ou plutôt au visage découpé puis recouvert par la
représentation graphique du déplacement circumsolaire
d’une 3ème planète (la Terre?). Cela se laissait
tourner comme les pages d’un livre. On pouvait lire sur le premier
carton l’inscription manuscrite au bic : orbiting planets, january
96. Lucien et René débattait sur l’identité
éventuelle des planètes photocopiées, Mireille
s’interrogeait sur celle du portrait, Camille s’arrêta
sur l’inscription : j’étais alors en réa...
Et l’ellipse dessinée par la 3ème planète
lui rappelait le dessin griffoné par une aide-soignante pour
lui expliquer l’intrusion de mérozoïtes (issus des
sporozoïtes), dans ses globules rouges avec l’idée
bien arrêtée de les hémolyser, c’est-à-dire
de les faire éclater comme de bonnes vieilles bulles de savon.
Sa présence dans le service
était patronnée par une insuffisances rénale, une
anémie bien avancée, une hémoglobinurie magistrale.
Le syndrome de détresse respiratoire était repoussé.
On s’occupait de tout. Glissé dans une enveloppe ou placé
dans une boîte, cela (le collage) réapparaîtrait
aussi un jour. Peut-être. |