A l’entrée, pour briser
le silence, ils s’entretinrent de la conversation. Pour Lucien,
nombre de personnes désignaient par ce terme le temps qu’elles
employaient à soliloquer sur leurs malheurs en votre présence
; lui pour sa part, écoutait, et se gardait bien de proposer
la moindre solution pouvant apporter un soulagement quelconque, ce qu’il
appelait : pratiquer la psycharité. Camille ni Mireille ou René,
personne n’y trouva à redire et ils passèrent au
plat de résistance. Ils parlèrent de la vie. René
prétendait n’en attendre rien, car ce n’était
pas une société de services. René, de son côté,
la considérait comme un bandit de grand chemin vous guettant
en embuscade, prêt à tout pour vous déposséder
jusqu’à l’os, et finalement vous trancher la gorge.
Camille et Mireille se dispustèrent un peu. La seconde clamait
aimer la vie parce qu’elle vivait et que le fait de vivre suffisait
amplement à la lui faire aimer, ce que Mireille trouvait complètement
idiot, contente, elle, de sentir gigoter le sarcasme derrière
la douleur, que vivre impliquait. Le plat n’était pas vide
que la science fit son apparition. Avez-vous remarqué, demanda
René, que la science devient parfaitement inepte lorsqu’elle
ne sait plus quoi inventer pour améliorer ou au contraire empirer
notre condition, qu‘elle parle alors de n’importe quoi pour
faire parler d’elle? Lucien avoua qu’il aimait parfois à
entendre parler d’expériences qui semblaient, au premier
abord, tout à fait incongrues sinon parfaitement inutiles, mais
dont la poésie ne pouvait laisser indifférent, ainsi celle
des gouttes de poix s’écoulant dans un sablier
depuis 1927. Poésie, mon cul! avait rétorqué René.
Peut me chault moi, d’apprendre qu’en écrivant son
journal scientifique Vinci picolait du picrate, avait les doigts graisseux
des os de poulet qu’il avait rongés et ne se gênait
pas pour écraser ses morves en marge de ces annotations!... Avec
une certaine habileté et un sens de la continuité, Mireille
trouva que là où le sarcasme faisait défaut, la
poésie était toujours bien venue. Camille écarquilla
les yeux, resta bouche bée. Etait-ce d’apprendre que le
génial italien mangeait et buvait comme tout le monde? de calculer
mentalement combien de gouttes s’étaient détachées
de la masse poisseuse ou simplement que Mireille parlait de poésie,
mais pour qui se prenait-elle celle-là? Au dessert, le vin aidant,
ils passèrent aux choses sérieuses. René enfourcha
une digression entrecoupée de libations de plus en plus rapprochées
sur la génétique et conclua que l’inapétence
avérée de l’homme pour le tétard devrait
peser peu dans le futur face au bonheur qu’il éprouvait
à manipuler, transformer, combiner, et que plutôt que de
s’enliser dans la routine de l’évolution, ne pouvant
déboucher que sur une voie sans issue, il n’hésiterait
pas à trouver dans les larves de grenouilles un caviar tout à
fair acceptable. Lucien haussa les épaules en se levant et aller
chercher ce qu’il appelait ces „fioles antiques“,
flacons de plastique en forme de temple, souvenirs d’un séjour
à Korfou, contenant de l’ouzo, et sur lesquelles étaient
reproduites des scènes mythologiques. - Ah! la Grèce éternelle!... bafouilla René. - Vivre c’est errer, c’est poétiquement errer dans le sarcasme... errer, comme Ulysse sur les mers, ou Pénélope devant son métier à tisser... la seule religion...., divaguait Mireille. - Errer pour errer, autant le faire en dehors de la religion, et de la non religion! - N’est-ce pas l’Egypte qui était éternelle? - Rome? - Pourquoi pas Bort-les-Orgues? - Entendre des singes mortels parler d’éternité, on aura tout vu... |