Un „bon...“ et Corbivau se retrouva propriétaire de tout ce matériel photographique. „Bon“ pour l’agrandisseur, un passe-vue, le compte-pose, une lampe inactinique, un margeur, un massicot, „bon“ pour les spires et cuves de développement, un entonnoir, une loupe, un chronomètre, un trépieds, des chiffons, un thermomètre, la tireuse de planche contact, des éprouvettes, un décapsuleur, „bon“ pour les bacs à bain, les pincettes lestées, les pinces à linge, les essoreuses, des ciseaux, des bidons, du révélateur, du fixateur, des boîtes, pochettes de papiers. „Bon“ pour ce pêle-mêle contenu dans cette malle métallique, cantine rouillée, cabossée, bosselée, érafflée, à la vue de laquelle Corbivau imagina aisément le propriétaire roulant sa bosse avec ce barda. Il le voyait attendre sur un quai de gare ou de port, il le voyait débarquer, poirauter, embarquer, mais la nudité, l’absence d’auto-collant vantant les lointaines contrées visitées indiquait le contraire, peu importe : émerveillé, Corbiveau ne marchanda pas le prix demandé par le vendeur, pensa même un instant qu’il se trompait car tout cela était vraiment trop bon marché, une bouchée de pain, trop occupé sans doute à renseigner cet autre client désireux d’acheter une statuette que lui avait pris pour une Eve-Pandore mais s’avéra princesse Bonaparte „déguisée“ en Vénus tout court, l’homme parut satisfait, comme lui Corbivau l’était. Il déplia quelques billets pour les tendre au vendeur en verve qui empaquettait la Vénus allongée dans du papier journal et se mit à raconter la découverte de la cantine dans un grenier, dissimulée, enfouie avec deux autres (l’une contenait de vieux magasines reliés, l’autre des livres) sous un tas de guenille, loques, chiffons, appelez ça comme vous voulez, alors que je vidais une maison à la suite d’un décès, les héritiers sont parfois si tourneboulés par la mort qu’ils préfèrent tout bazarder sans jeter un œil, ne pas s’encombrer de ces objets qui racontent le mort mais pas le vivant et les ramènent à leur propre mort, qui souffrent tant qu’ils préfèrent accélérer la dégradation des souvenirs même si elle est généralement plus rapide que celle atomes, ça ne dure jamais des milles et des millions d’années vous savez, du vestibule de cette maison s’ouvraient deux pièces que, me dit-on, le défunt avait d’abord sous-louées et qu’il occupa (un bien grand mot et fort inexact, car ces pièces étaient vides, je ne veux pas dire vidées, mais vides, il le voulait ainsi dirent les héritiers, pour pouvoir penser à la manière dont il pourrait les remplir, apparemment il n’avait pas trouvé) lorsque les locataires partirent pour un autre logement (le cimetière, vraisemblablement), venait ensuite, sur la gauche, un escalier en bois et à son pied, à droite, deux portes, celle des wc – une sorte de placard sous les marches où il était impossible de se tenir debout et – chauffés tenez-vous bien, avec deux grille-pain installés de part et d’autre de la cuvette – des toasters!...), et celle donnant sur une petite cour humide ; au premier étage se trouvait, à droite, une salle à manger (une table, une chaise, un coin cuisine : un camping-gaz à deux plaques, un frigidaire, un bahut), à gauche la chambre (un lit pico, une caisse de bananes Tropical Kwadu renversée, une lampe) ; l’escalier continuait au grenier, tout était là, les meubles, les vêtements, tout ce qui fait que lorsque vous en êtes entouré vous avez l’impression d’habiter une maison et plus une grotte, tout... ça ira vite, avais-je pensé en voyant les pièces du rez-de-chaussée, celles de l’étage – cela m’a pris une semaine à désemboîter sans les briser les chaises, les tables, commodes, fauteuils, et les désencastrer, dégager, libérer des armoires où Crépon – il s’appelait Crépon – avait semblé avoir voulu les comprimer, il y a des gens comme ça, qui n’acceptent pas qu’une bouteille d’un litre n’en contiendra jamais ni trois ni deux, qui s’acharne pourtant, la veulent fût, barrique, cuve, citerne et vas-y que je t’enfonce! et dans ce pandémonium : ça... il désigna la cantine, se baissa, retira et feuillera des albums, en partie vide : c’est sûr que le temps passé à vider sa maison on ne l’a plus pour prendre des photos..., Corbivau en sortit un à son tour, ne contenant qu'un tirage et portant une inscription sur la page de garde : Ma chère (?) avant que de partir pour la côte...