Camille appelait „professeur“
un style de barbe où deux tobogans de poils partaient au niveau
de l’articulation mandibulaire et suivaient la ligne de l’os
pour se rejoindre à la pointe du menton, la lèvre supérieure
restant rasée, et qui se rapportait à un homme qu‘elle
avait connu autrefois. En fait de professorat, il était tout bonnement
agent d’entretien à l’université où elle
était inscrite. Jeune encore à l’époque, il
tomba amoureux d’Irène, double chatain de Mireille alors
brune. Sans jamais avoir osé l‘aborder pour sinon se déclarer
du moins l‘inviter ne serait-ce qu’au cinéma, le „professeur“
conclua que cet amour était voué à l’échec,
et en déduit que seul le suicide résoudrait le problème.
Sa décision prise il employa son temps libre à composer
des milliers d‘épitres à l‘élue qui ne
les reçut jamais car il n’en expédia aucune. Au bout
d’une vingtaine d’années il jugea le nombre suffisant,
les détruisit au moyen de ciseaux à cinq lames, pour ensuite
mélanger les restes, à proportions égales, au plâtre
qu’il entreprit de gâcher afin de remplir un coffrage ayant
la forme d’un escalier dont la dernière marche correspondait
au niveau du rebord de fenêtre d’où il se jeta, pour,
après une chute relativement courte, se briser la colonne vertébrale
sur la bordure du trottoir. Les secours alertés constatèrent
le décès. Un agent de police trouva sur la table de la cuisine
non pas une lettre d’adieu classique mais un mode d’emploi
expliquant le comment de l’escalier sans omettre le pourquoi, détails
que l’auteur du fait divers n’évoquait pas mais que
Camille, ayant reconnu le „professeur“, put apprendre en téléphonant
à la rédaction du journal. Elle appela ensuite Irène
(entretemps mariée et vivant dans une autre ville), qui remercia
ce qu’elle nommait sa „perspicacité en mecologie“,
car elle avait bien senti que le „professeur“ en piquait pour
elle mais n’était pas de ceux avec qui l’on sort, encore
moins avec qui l’on couche, et surtout pas de ceux que l’on
épouse : „Tu vois, avec ses manies suicidaires, cet idiot
aurait simplement foutu ma vie en l‘air...“ avait-elle conclu
avant que de raccrocher. |