Elle tenait ça dans sa paume, assise dans la pénombre de la baraque, attristée peut-être de ne pouvoir l’agiter comme avant et voir tourbillonner la neige autour des figurines. Le dôme de plastique transparent manquait, ainsi que l’eau où la neige eut tournoyé si elle n’était elle aussi, logiquement absente.
- Enfin ça fait tout de même un souvenir, même si c’était pour rire.
- ???????
- Oh non, enfin si, ça dépend... L’Aîné a d’abord travaillé sur la Marie-Salope, enfin il passait l’huile sur le treuil lorsqu’elle n’était pas à râcler la vase dans le port. Il aurait voulu être à bord, mais comme l’équipage ne se composait que d’un pilote et d’un chef-mécanicien, les places étaient prises, hein!? Il a fini par trouver une place comme docker. Il en a porté des caisses la nuit aux arrivages, et des lourdes ! jusqu’à ce que son dos soit si compote et tordu qu’il pouvait sans problème nouer et dénouer ses chaussures, même quand il portait des bottes. Cadet lui s’est vite marié, et comme sa Louise était fille de goémonier, il a goémoné aussi, sur le Lédénez de Molène, sur la grève et aux fours à soude d’abord, puis le continent. Et il s’est pris le pied un jour dans un reste de tracteur, il a dû se cogner et s’évanouir avant de boire la tasse, qu’ils ont dit les sauveteurs. C’est bête un tracteur comme ça, dans la mer... Y en qui disent que la tasse il l’avait bu avant, et pas qu’une...
- ???????
- Ah le Benjamin oui, il a vraiment navigué. Ils voulaient tous faire comme le père, partir là-bas...
- ???????
- En Indochine ou Algérie, là où ils partaient, comme le père, après s’être bien engueulé avec les vieux qui voulaient qu’ils fassent comme eux et eux ne voulaient pas, ils ne voulaient plus crever de faim comme pendant la guerre, ni pendant la paix après, ils ne voulaient plus de ça... (Elle désignait la pièce du menton) Alors ils s’engageaient et ça tombaient bien qu’il y avait la guerre. Parfois ils revenaient, des fois non. Le père est revenu lui, pas pour longtemps, suffisament pour que l’Aîné, Cadet et Benjamin viennent quand même, et la Petite... Et puis il est parti...
- ???????
- Benjamin. Il s’est embarqué lui, mais pas comme le père, parce qu’y avait plus de guerres comme ça, sur un bateau tout de même. Qui allait à Terre-Neuve, et revenait, repartait et revenait, et repartait à chaque saison et Benjamin n’est pas revenu de là-bas parce que la morue c’était fini. Il a pris ses sous et à filé dans le sud, à Matouri, c’est près de Cayenne, qu’il m’a écrit.
- ???????
- Il fait les pelouses, les jardins à droite à gauche, il pirogue des marchandises et des touristes, il y a parfois des fusées qui partent, il m’a envoyé une photo.
Elle lui tendit un polaroïd pâle, désignait de l’index un point plus délavé que le reste.
- C’est là.
- Qu’il vit?
- Non, la fusée...
- Et la petite?
- Ben, c’est moi.