Si Lucien se représentait encore facilement son apprentissage du vélo, il faisait chou blanc lorsqu’il cherchait à revivre l’inauguration de sa première souris. Le premier était marqué par le pignon fixe qui rendait difficile la maîtrise du freinage et d’autant plus fréquentes les chutes, expressions douloureuse de la précarité de l’équilibre acquis. De chute aussi il était question en ce qui concernait la souris. Sans pouvoir la re-situer dans le temps avec exactitude, il qualifiait sa première utilisation de „pomme“, en ce sens qu’au gré des pressions sur le bouton de gauche ou celui de droite il obtenait une information, un savoir, ou leur absence. Il considérait en somme la souris comme la clef lui ouvrant la porte du paradis et lui permettant d’en sortir pour en gagner un autre, même s’il ne parvenait pas à définir en quoi le paradis quitté en avait été un, ni en quoi celui auquel il accédait en serait un nouveau. Il conclut que l’enfer était vraissemblablement un paradis que l’on ne parvient plus à quitter par ses propres moyens. Quelque fut la nature de celui où l’avait transporté cette souris il s’y enfonçait, avançait avec peine, comme dans cette lagune, à marée basse et surtout d’équinoxe, les pieds pris dans la vase n’autorisant qu’un déplacement ralenti qui lui permettait, certes, de reconnaître la palourde et la coque, le rigadeau et le sourdon, le couteliquet et le bigorneau, gueldre ou guildre, ver marin, qu’il ne ramassait d’ailleurs que pas ou si peu, contrairement à d’autres flâneurs pataugeurs qui, sous l’œil blasé d’une volaille aquatique, armés de crocs à trois dents, de fourches, de truelles, de courtes bêches voire de pelles, fouillaient le goémon, râclaient le sable et le gravier, remplissaient des sacs de jute que l’on retrouvaient parfois plus tard abandonnés au coin d’une tente ou caravane, encore gonflés d’un surplus pourrissant au soleil et visité par les mouches, les grosses, vertes un peu. Cependant que sous les parasols, identiques à ces champs d’antennes paraboliques interrogeant l’espace, plantés en nombre sur la plage, des épouses peu portées à la pêche réajustaient leur monokini ou bikini pour les plus courageuses (insouciantes?), refoulaient un moment leur fonction socio-biologique, se faisaient sirènes mais surtout mêlaient au sel de leur sueur le visqueux de l’huile solaire. Cette lagune s’ornait aussi, il s’en souvenait avec exactitude, d’une souris. Îlot que ne peupla sans doute jamais le rongeur qui lui donna son nom, boursoufflure dont le granit un temps exploité par le bâtiment méritait l’appellation de „philanthropique“, contrairement à d’autres récifs voisins dont certains – qui ne sont jamais complètement recouverts indiquent les cartes anciennes – nauffrageaient volontiers pinasses et dundees, et aux pieds desquels – disent les histoires recueillies par le Musée de l’homme – les habitantes d’un village englouti attendent de refaire surface tous les neufs ans pour venir vendre sur le continent leurs chandelles de résine. Au loin résonnait parfois un coup de tonnerre ; il n’annonçait pas l’approche d’un orage mais la salve tirée d’une batterie effectuant des essais, dont les obus achèveraient leur course sur quelque cible remorquée au large à moins que de s’égarer, surprendre et malmener le pékin ou même d’en dispercer franchement les membres et organes, de les réduire en petit bouts de chair informe rappelant le sushi ou l’amuse-gueule accompagné d’un cube de fromage, dont dit-on, friande est la souris.